Vingt ans de mensonges pour aboutir à la pire catastrophe humanitaire de notre époque
Par Pascal ELLUL Directeur de cabinet parlementaire et représentant départemental de Nouvelle Énergie
Quatre ans après le retrait chaotique d’Afghanistan, il est temps de dire la vérité : nous avons collectivement échoué, menti et abandonné lâchement des millions de femmes et d’enfants afghans. Pire encore, nous continuons de nous voiler la face pendant que se déroule sous nos yeux la pire crise des droits des femmes au monde.
Aujourd’hui, en 2025, une femme afghane ne peut plus parler en public, chanter, réciter le Coran même entre femmes, étudier, travailler, ou même se faire soigner par un médecin homme. L’Afghanistan est devenu un pays où entendre la voix d’une femme est désormais un crime. Pendant que nous débattons de nos petites querelles politiques, 15 millions de femmes et filles afghanes vivent un cauchemar quotidien que nous avons rendu possible par notre incompétence et notre lâcheté.
L’accord de Doha : la capitulation honteuse de l’Amérique
Donald Trump porte la responsabilité première de cette catastrophe. L’accord qu’il a fait signer le 29 février 2020 à Doha restera dans l’histoire comme l’une des capitulations les plus honteuses de la diplomatie occidentale. Trump a négocié directement avec les talibans en excluant délibérément le gouvernement afghan de ces discussions. Une première dans l’histoire diplomatique américaine : négocier avec un groupe armé ennemi en ignorant complètement son allié officiel.
Cet accord n’était pas un traité de paix mais un acte de reddition déguisé. Les États-Unis ont promis de se retirer sans conditions réelles, en échange de vagues promesses que les talibans n’avaient évidemment aucune intention de respecter. Pendant que l’encre séchait sur ce papier de la honte, les talibans préparaient déjà leur offensive finale.
Joe Biden porte une responsabilité tout aussi lourde : arrivé au pouvoir le 20 janvier 2021 avec seulement 2 500 soldats encore en Afghanistan, il a choisi de maintenir et d’appliquer cet accord désastreux. Il avait tous les moyens de l’annuler, comme il l’a fait pour tant d’autres décisions de Trump. Au lieu de cela, il a accéléré le calendrier en fixant la date définitive du retrait au 31 août 2021.
2 000 milliards de dollars dilapidés, 20 ans de guerre, pour aboutir à une situation pire qu’en 2001. Jamais échec stratégique n’aura été si coûteux en vies humaines et si humiliant pour l’Occident.
Vingt ans d’incompétence occidentale
Soyons honnêtes sur notre bilan : nous avons été nuls. Pendant deux décennies, nous avons construit un château de cartes en ignorant systématiquement les réalités afghanes. Nous avons formé une armée de 300 000 hommes qui s’est volatilisée en quelques jours. Nous avons soutenu un gouvernement corrompu jusqu’à la moelle. Nous avons cru naïvement aux « talibans modérés », expression qui aurait dû nous faire mourir de honte.
Comment avons-nous pu être aussi aveugles ? Comment nos dirigeants, nos diplomates ont-ils pu gober les promesses des talibans qui affirmaient en août 2021 avoir « changé », que la burqa ne serait plus obligatoire, que les femmes pourraient travailler ? Quatre ans plus tard, les femmes afghanes n’ont même plus le droit de faire entendre leur voix.
L’évacuation catastrophique de Kaboul, avec ses images d’Afghans s’accrochant aux avions américains, restera le symbole de notre faillite collective. Nous avons abandonné nos alliés afghans, nos traducteurs, toutes ces femmes qui avaient cru en nos promesses de liberté et de démocratie.
Une génération sacrifiée sur l’autel de nos calculs
Pendant vingt ans, une génération entière de femmes afghanes a grandi en espérant. Elles sont devenues médecins, avocates, journalistes, parlementaires. Elles ont créé des entreprises, étudié dans nos universités, participé à la reconstruction de leur pays. Nous leur avons fait miroiter un avenir que nous savions fragile.
Aujourd’hui, ces femmes vivent un cauchemar :
- Interdites d’université depuis décembre 2022
- Interdites de travailler pour les ONG
- Interdites d’accès aux parcs, aux hammams, aux gymnases
- Fouettées en public si elles ne respectent pas le code vestimentaire
- Arrêtées si elles manifestent
Nous avons créé leurs espoirs pour mieux les broyer.
Les chiffres qui donnent le vertige
- 24% de femmes dans la population active contre 89% d’hommes
- 80% des jeunes femmes afghanes n’étudient pas, ne travaillent pas, ne se forment pas
- 23,7 millions d’Afghans dépendent de l’aide humanitaire
- La mortalité maternelle pourrait augmenter de 50% d’ici 2026
Voilà notre héritage.
La complicité du silence occidental
Aujourd’hui, que fait l’Occident ? Rien, ou presque. Nous multiplions les déclarations indignées, les communiqués « préoccupés », les résolutions sans effet. Les Émirats arabes unis acceptent les lettres de créance d’un ambassadeur taliban. La Chine développe des « relations amicales » avec Kaboul. La Russie voit des « signaux positifs ». Nous assistons à la normalisation d’un régime d’apartheid sexuel.
Emmanuel Macron, qui parlait encore en août 2021 d’un « juste combat », se contente aujourd’hui de condamnations rituelles. L’Union européenne « se dit consternée » mais continue ses discussions techniques avec les talibans. Les Nations unies négocient avec les bourreaux des femmes afghanes pour l’acheminement de l’aide humanitaire.
Cette complaisance est répugnante. Nous légitimisons par notre passivité le système le plus oppressif au monde envers les femmes. Chaque jour qui passe sans sanctions économiques massives, sans isolement diplomatique total, est un jour de complicité avec l’effacement programmé des femmes afghanes.
Il faut agir, maintenant
Assez de larmes de crocodile et de déclarations creuses ! L’urgence absolue est d’isoler totalement le régime taliban :
- Gel immédiat de tous les avoirs afghans
- Interdiction de tout commerce avec l’Afghanistan taliban
- Sanctions personnelles contre tous les dirigeants du régime
- Refus catégorique de toute reconnaissance diplomatique
Nous devons également assumer nos responsabilités envers les réfugiés afghans les plus vulnérables. Priorité absolue aux femmes et aux filles, premières victimes de ce régime d’apartheid sexuel. Chaque pays occidental qui a participé à cette guerre de vingt ans doit ouvrir ses portes à celles qui fuient la persécution systématique.
Il est inadmissible qu’en France, les réfugiés afghans soient majoritairement des hommes alors que ce sont les femmes qui subissent l’oppression la plus brutale.
Il faut enfin créer un mécanisme international d’établissement des responsabilités pour crimes contre l’humanité. La Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre les dirigeants talibans : il faut les appliquer.
Notre honte, leur courage
Pendant que nous nous lamentons sur notre échec, les femmes afghanes résistent. Elles manifestent malgré les coups. Elles enseignent en secret malgré les interdictions. Elles refusent de disparaître malgré nos abandons. Leur courage fait notre honte.
Nous leur devons plus que des regrets : nous leur devons la justice. Nous leur devons de reconnaître que nos vingt années de présence en Afghanistan ont été vingt années d’amateurisme, d’aveuglement et de mensonges. Nous leur devons de dire que l’accord de Doha était une trahison. Nous leur devons d’admettre que nous avons échoué.
L’Afghanistan d’aujourd’hui est notre responsabilité collective. Chaque femme réduite au silence, chaque fille privée d’école, chaque mère interdite de travailler : c’est le prix de notre incompétence. Il est temps d’assumer cette réalité et d’agir enfin à la hauteur de nos responsabilités.
Les femmes afghanes méritent mieux que notre culpabilité : elles méritent notre action. Il n’est pas trop tard, mais l’horloge tourne. Dans le silence de l’indifférence, c’est une génération entière qui s’éteint.

Pascal ELLUL est Directeur de cabinet parlementaire et représentant départemental de Nouvelle Énergie, le parti fondé et présidé par David LISNARD, Maire de Cannes et Président de l’Association des Maires de France