Par Pascal ELLUL Directeur de cabinet parlementaire et représentant départemental de Nouvelle Énergie
Ce vendredi 1er août , dans l’indifférence quasi-générale, la TVA sur les abonnements d’électricité et de gaz a été multipliée par quatre, passant de 5,5% à 20%. Cette décision découle d’une jurisprudence de la Cour de Justice européenne de 2018 qui impose l’harmonisation des taux de TVA sur l’ensemble d’une facture énergétique. Bruxelles justifie cette mesure par la nécessité technique d’appliquer un taux uniforme aux « éléments indissociables du même bien ». Derrière cette apparente neutralité administrative se cache une réalité bien plus préoccupante : celle d’une décision technocratique prise sans le moindre égard pour les difficultés croissantes des ménages français.
Bruxelles impose, les Français paient
C’est bien l’Union européenne qui, par le biais de ses instances juridiques, a contraint la France à cette « harmonisation ». Mais harmonisation vers quoi ? Voilà le véritable enjeu. Face à cette injonction européenne, nos représentants nationaux se sont retrouvés pris dans un étau : soit appliquer le taux de 20% sur l’ensemble de la facture d’électricité, soit harmoniser vers le bas à 5,5%. L’Union européenne, par sa logique purement comptable, a de facto orienté le choix vers l’option la plus coûteuse pour les citoyens. Une décision qui révèle les priorités d’un système technocratique où l’orthodoxie budgétaire écrase systématiquement la justice sociale.
Cette hausse tombe au pire moment possible. Aujourd’hui, 84% des Français déclarent que leurs factures d’énergie représentent « une part importante » de leur budget – ils n’étaient que 56% dans ce cas en 2016. Un tiers des ménages peinent déjà à payer leurs factures énergétiques, contre moins d’un sur cinq en 2020. Trois foyers sur quatre ont dû restreindre leur chauffage l’hiver dernier pour boucler leurs fins de mois. Dans un tel contexte, imposer depuis Bruxelles une hausse fiscale qui touchera en priorité les plus modestes relève d’un aveuglement technocratique confondant.
Une mesure qui pénalise les plus fragiles
Car il faut appeler les choses par leur nom : contrairement aux discours rassurants de la Commission européenne sur l’harmonisation, cette réforme pénalise structurellement les petits consommateurs d’énergie. Ceux qui, souvent par pure nécessité économique, limitent déjà drastiquement leur consommation. L’abonnement représente pour eux une part considérable de leur facture, tandis que les gros consommateurs bénéficieront davantage des mécanismes de compensation. L’injustice est parfaite : les plus précaires financent les plus aisés, au nom de la sacro-sainte harmonisation européenne.
Derrière les 3,8 millions de ménages français en situation de précarité énergétique, il y a des visages bien concrets : la retraitée qui éteint son chauffage dès mars, le jeune couple qui négocie chaque mois des échéanciers avec EDF, la famille monoparentale qui arbitre en permanence entre électricité et courses alimentaires. Ces réalités humaines semblent totalement étrangères à la technocratie européenne, obsédée par ses grilles d’harmonisation réglementaire et son orthodoxie budgétaire. Depuis les tours climatisées de Bruxelles, la différence entre 5,5% et 20% de TVA paraît effectivement anecdotique. Elle ne l’est absolument pas pour celui qui vit avec 1 200 euros par mois.
L’Europe comme machine technocratique
Cette affaire illustre à merveille les dérives d’une Union européenne devenue une gigantesque machine technocratique, complètement déconnectée des réalités sociales. Les directives tombent de Bruxelles sans la moindre consultation véritable des peuples, contraignant les États membres à des choix qu’ils n’auraient jamais faits spontanément. Nos élus nationaux se retrouvent ainsi dans cette position particulièrement inconfortable : devoir appliquer des mesures qu’ils savent impopulaires, au nom de contraintes européennes présentées comme absolument incontournables.
Les mots prononcés par Philippe Séguin en 1992 résonnent aujourd’hui avec une actualité presque troublante. Il dénonçait déjà une construction européenne qui « se fait sans les peuples, dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions » et alertait sur « toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires » qui prend « au nom des peuples, sans en avoir reçu le moindre mandat, des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux ».
Cette hausse de TVA illustre parfaitement ce diagnostic implacable. Combien de citoyens européens ont été consultés avant cette fameuse décision de la Cour de Justice ? Combien de débats publics y a-t-il eu au niveau européen sur les alternatives possibles ? La démocratie peut-elle vraiment se satisfaire de décisions prises dans les hautes sphères bruxelloises et justifiées après coup par des impératifs soi-disant techniques ?
Vers une Europe qui protège
Il ne s’agit évidemment pas de verser dans un anti-européanisme de principe. L’Europe demeure un atout formidable face aux défis du XXIe siècle. Mais elle ne le restera qu’à une condition absolue : cesser d’être cette machine technocratique imposant des mesures contraires à l’intérêt des peuples. Une Union européenne qui oblige ses États membres à alourdir la fiscalité énergétique précisément au moment où les ménages peinent à payer leurs factures perd inexorablement sa légitimité. Une Europe qui impose des normes comptables abstraites sans se soucier une seconde de leur impact social trahit purement et simplement l’idéal de ses fondateurs.
Cette affaire révèle avant tout le déficit démocratique abyssal des institutions européennes. Quand des décisions majeures affectant le quotidien de millions de citoyens sont prises par des technocrates non élus, au nom de contraintes juridiques prétendument incontournables, c’est la confiance dans le projet européen tout entier qui s’érode. Les citoyens ne demandent pourtant rien d’impossible : que leurs difficultés soient enfin prises en compte par Bruxelles, que les décisions qui les concernent fassent l’objet d’un vrai débat démocratique, que l’Europe serve leurs intérêts plutôt que de les contraindre au nom de l’orthodoxie comptable.
Face à la montée inexorable des populismes et à la crise de confiance démocratique, la technocratie européenne ferait bien de méditer cette leçon fondamentale : on ne gouverne jamais durablement contre les peuples, même avec les meilleures intentions du monde. Ces « petites » mesures techniques, imposées méthodiquement depuis Bruxelles, contribuent jour après jour à nourrir ce sentiment d’abandon qui traverse désormais nos sociétés. Il est grand temps que l’Union européenne renoue avec une vision authentiquement politique qui replace l’humain au cœur de ses décisions, qui cesse d’opposer efficacité technique et justice sociale, et fait de cette dernière sa véritable boussole.
Car derrière chaque point de TVA imposé par Bruxelles, il y a des familles européennes qui comptent leurs euros en fin de mois. Il serait vraiment temps que la technocratie européenne s’en souvienne.

Pascal ELLUL est Directeur de cabinet parlementaire et représentant départemental de Nouvelle Énergie, le parti fondé et présidé par David LISNARD, Maire de Cannes et Président de l’Association des Maires de France