Par Pascal Ellul, directeur de cabinet parlementaire et délégué départemental de Nouvelle Energie
La chute du régime de Bachar al-Assad après plus de 13 ans de guerre civile marque un tournant historique pour la Syrie. En 2015, j’ai séjourné dans le village chrétien historique de Maaloula, auprès d’une communauté qui venait d’être persécutée par le Front Al-Nosra – aujourd’hui rebaptisé Hayat Tahrir al-Cham (HTC), nouveaux maîtres de la Syrie. Cette expérience m’a permis de mesurer la complexité d’une situation que certaines chancelleries occidentales persistent à présenter de manière simpliste.
Un régime criminel dans une équation complexe
Les crimes du régime Assad sont accablants et inexcusables. La torture systématique dans les centres de détention comme Sednaya a fait des dizaines de milliers de victimes. L’usage d’armes chimiques contre des populations civiles, notamment à la Ghouta, constitue un crime contre l’humanité. Les bombardements aveugles sur les zones habitées et la répression brutale des manifestations pacifiques de 2011 ont révélé la nature profondément criminelle du régime.
Cependant, la géopolitique régionale dépasse largement la simple opposition entre un dictateur et son peuple. La guerre en Ukraine a considérablement affaibli le soutien russe à Assad, Moscou devant redéployer ses ressources militaires. Parallèlement, l’escalade des tensions entre Israël et le Hezbollah a contraint ce dernier, ainsi que les Gardiens de la révolution iraniens, à réduire leur présence en Syrie où ils constituaient un pilier crucial du régime. Ces bouleversements géopolitiques, plus que les considérations humanitaires affichées par certaines puissances, expliquent la chute d’Assad.
Le mythe mortel de l’islamisme modéré
À Maaloula, village où résonne encore l’araméen, la langue du Christ, j’ai pu constater les conséquences directes de la politique occidentale de soutien aux groupes islamistes prétendument « modérés ». Les témoignages recueillis racontent des persécutions religieuses systématiques, des profanations d’églises, des enlèvements – la réalité crue d’un islamisme que rien ne distingue dans ses actes de ses versions les plus radicales.
L’Occident s’est rendu coupable d’une faute historique en Syrie : celle de croire – ou de feindre de croire – à l’existence d’un « islamisme modéré ». Cette illusion dangereuse, qu’elle soit le fruit d’une grande naïveté ou d’un calcul cynique, rappelle les erreurs commises en Afghanistan, où certains pensaient que les Talibans avaient « changé ».
La géopolitique à géométrie variable
La défense des droits humains, brandie comme étendard de l’intervention occidentale en Syrie, révèle ses limites lorsqu’on observe le traitement différencié réservé à d’autres régimes autoritaires de la région. Cette géométrie variable, dictée par des intérêts économiques et stratégiques, illustre le cynisme d’une politique étrangère qui instrumentalise la cause des droits humains.
Le régime d’Assad, malgré sa brutalité innommable, maintenait un caractère laïc. Cette caractéristique, qui n’excuse en rien ses crimes, explique pourquoi les minorités religieuses de Syrie – chrétiens, alaouites et autres – regardent l’avenir avec effroi. Sous Assad, elles étaient victimes d’un régime autoritaire comme l’ensemble de la population. Avec la montée en puissance des groupes islamistes, elles deviennent des cibles spécifiques en raison de leur foi.
Un avenir incertain
La chute d’Assad, si elle met fin au règne d’un dictateur sanguinaire, ouvre une période d’incertitude majeure. Les groupes islamistes comme HTC, malgré leurs efforts de « modération » affichée, n’ont jamais renoncé à leur projet fondamental d’instauration d’un État islamique. Mon séjour à Maaloula m’a montré que pour les chrétiens de Syrie, la différence entre un groupe islamiste « modéré » et un groupe « radical » n’est qu’une question de stratégie de communication.
La situation actuelle illustre la complexité des enjeux moyen-orientaux, où la simple opposition entre « bons » et « méchants » masque une réalité autrement plus nuancée. La chute d’Assad, si elle était nécessaire, ne doit pas conduire à l’établissement d’un régime théocratique qui effacerait définitivement le caractère pluriel de la société syrienne. Les chrétiens de Maaloula, que j’ai eu le privilège de rencontrer, représentent un héritage millénaire que nous ne pouvons pas sacrifier sur l’autel d’une realpolitik à courte vue.

Pascal ELLUL est Directeur de cabinet parlementaire et représentant départemental de Nouvelle Énergie, le parti fondé et présidé par David LISNARD, Maire de Cannes et Président de l’Association des Maires de France