L’État français mobilise massivement les investisseurs publics et privés pour renforcer le secteur de la défense. Lors d’une réunion organisée jeudi à Bercy, le ministre de l’Économie Eric Lombard a annoncé un plan d’investissement pouvant atteindre 5 milliards d’euros, dont 1,7 milliard provenant d’investisseurs publics comme la Caisse des dépôts et Bpifrance.
Un financement stratégique pour la souveraineté
Face à l’évolution de la position américaine vis-à-vis de l’Ukraine et dans un contexte géopolitique tendu, la France cherche à accélérer le financement de son industrie de défense. Le ministre de l’Économie a insisté sur l’importance du financement public, privé et populaire pour assurer la sécurité du pays.
La « base industrielle et technologique de Défense » (BITD) française, composée de neuf grands groupes (Dassault Aviation, Thales, Airbus…) et d’environ 4.500 PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI), nécessite un renforcement rapide de ses capacités de production.
Les Français invités à participer
Pour associer les citoyens à cet effort national, Bpifrance lancera un fonds destiné aux particuliers, avec l’objectif de collecter 450 millions d’euros. Le « ticket d’entrée » minimum sera fixé à 500 euros, rendant l’investissement accessible au plus grand nombre.
Cette initiative permet d’associer l’ensemble des Français à cet enjeu de souveraineté nationale, soulignant la dimension patriotique de cette mobilisation financière.
Lever les réticences des investisseurs
L’un des principaux obstacles au financement du secteur de la défense réside dans les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) qui peuvent conduire les investisseurs à éviter ce qu’ils considèrent comme des actifs « controversés ».
Les ministres présents ont tenu à distinguer clairement les armements interdits par les traités internationaux, qui ne peuvent faire l’objet d’aucun financement, et les armements autorisés qui contribuent à la protection de la souveraineté nationale, de la démocratie et des libertés.
Les banques et institutions financières s’engagent
Cette réunion a marqué un tournant dans la position du secteur financier français. Plusieurs annonces concrètes ont été faites :
- BPCE et BNP Paribas ont annoncé que leurs filiales d’assurances doubleraient leur exposition dans la défense
- La Caisse des dépôts a révisé sa politique d’investissement sectorielle pour permettre l’investissement de toutes ses filiales dans la BITD
- La CDC s’engage désormais à financer tout ce qui est permis par la loi
Le directeur général délégué de la Caisse des dépôts a précisé que l’institution avait déjà une exposition de plus de 40 milliards d’euros dans l’écosystème de la défense.
Vers une évolution des critères ESG
La directrice générale d’Euronext Paris (la Bourse de Paris) a suggéré que les critères ESG traditionnels pourraient évoluer pour intégrer également l’Énergie, la Sécurité et la Géostratégie, sans pour autant abandonner les objectifs environnementaux et sociaux.
Certains acteurs financiers ont reconnu qu’auparavant, les investissements dans la défense devaient souvent être dissimulés dans les rapports, en insistant sur la composante civile des entreprises concernées.
Des interrogations subsistent
Malgré ce consensus apparent, quelques réserves ont été exprimées. Le président du Medef a souligné que les entreprises du secteur s’inquiètent de la pérennité de l’effort annoncé et attendront des certitudes avant d’engager des transformations majeures.
Le président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, tout en reconnaissant la nécessité d’autonomie de la défense française, s’est inquiété que les sommes consacrées à la défense ne puissent aller aux objectifs environnementaux et sociaux.
Le gouverneur de la Banque de France a quant à lui averti qu’il ne pouvait y avoir de politique du « quoi qu’il en coûte » sur ce sujet, rappelant la difficile équation budgétaire française.
Lors d’une visite sur le site d’Eurenco à Bergerac après la réunion, le ministre des Armées a reconnu que si la France a assuré son autonomie en matière de dissuasion nucléaire, des lacunes persistent dans certains domaines conventionnels comme les munitions, lacunes que le gouvernement s’efforce de combler.